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Penser l’écriture de la science, extrait de texte de Maryvonne Charmillot, tiré de l’ouvrage  « devenir chercheur, écrire une thèse en sciences sociales, (2013), écrit par Moritz Hunsmann et Sebastien Kapp, édition de l’école des hautes études en sciences sociales (EHESS)Résumé critique

‘’Penser l’écriture de la science’’, itinéraire d’une pensée de la décolonisation de l’écriture scientifique.

            La question des normes d’écriture en sciences sociales mérite d’être pensée. Les difficultés inhérentes à l’écriture scientifique font qu’elle demeure, pour tout chercheur, un pari à gagner : les gens n’écrivent pas et préfèrent se taire, car écrire la science suppose le respect rigoureux des normes instituées. En effet, l’écriture scientifique constitue à la  fois un défi permanent et un instrument d’orientation du savoir scientifique.

            Maryvonne Charmillot  expose ces idées dans Penser l’écriture de la science,  un chapitre de l’ouvrage intitulé Devenir chercheur, écrire une thèse en sciences sociales, sous la direction de Moritz Hunsmann et Sébastien. Kapp.  Le présent commentaire de ce chapitre s’articlera autour de trois axes.

1.Positionnement épistémologique et forme d’écriture scientifique

            L’écriture scientifique doit être choisie en fonction du positionnement épistémologique du chercheur ; elle constitue un canal pour véhiculer la démarche et les résultats scientifiques. En sciences sociales et humaines,  elle peut épouser ‘’la posture épistémologique’’ dans laquelle s’inscrit le chercheur pour refléter l’idéal et l’éthique soutenus.

            Les différentes ‘’postures[1]’’ scientifiques présentées par Charmillot permettent d’entrevoir  le caractère contraignant de l’écriture scientifique et son pouvoir d’émancipation.

On ne peut, par exemple, parler d’une forme d’écriture fixe lorsqu’on s’inscrit dans la logique ‘’interprétative[2]’’ où la possibilité de recourir à plusieurs options devient une occasion à saisir par le chercheur pour choisir une forme d’écriture.

            La démarche positiviste[3] appréhende l’écriture de la science comme « naturelle, transparente et objective » . Cette perspective n’implique pas le caractère émancipateur de l’écriture scientifique qui demeure moins ‘’responsabilisante’’ qu’ ‘’aliénante’’.      

            Mais lorsque  sa ‘’posture’’ correspond à une démarche critique, le chercheur peut mettre plus de  responsabilité dans son appréhension du fait scientifique.  

            En fait, la « validité » des textes comme le souligne Charmillot, soulève des « débats », en raison de la complexité du choix de la forme d’écriture en sciences sociales, mais c’est à travers elle qu’on légitime toute forme d’écriture scientifique.

            La responsabilité du chercheur peut le conduire  à une décolonisation du savoir.  La  liberté qu’il a  d’utiliser le ‘’je’’ ou le ‘’nous’’ peut se déployer à celle qu’il a de s’inscrire dans une épistémologie, voire même de choisir une manière d’orienter des investigations scientifiques.

2.Ecriture scientifique et nécessité de décolonisation des savoirs.

            L’écriture est sans doute une des grandes difficultés de la recherche scientifique. ‘’L’élitisme universitaire’’ commande une attitude scripturaire bien précise. Puriste, cette vision distingue l’écriture littéraire de l’écriture scientifique, ce qui est normal, étant donné que le jargon scientifique n’est pas énigmatique et subjectif, mais objectif et transparent. Dans le style scientifique, les idées doivent être « exprimées » de telle manière que, seuls « les initiés » peuvent les décoder, pour reprendre Rosanna Hertz[4]

            En raison des difficultés que rencontrent des étudiants pour satisfaire des exigences d’une écriture académique, certains échouent à réaliser une thèse, en dépit de leur intelligence et de leur inspiration. Cela n’est-il pas une injustice cognitive ? Le savoir-faire du Nord peut-il continuer à servir de modèle aux peuples du Sud ?

            Le constat d’Alain  Caillé[5] sur ce sujet est assez pertinent, il prouve la nécessité de revoir l’écriture de la science. Il convient de la ‘’démocratiser’’ pour éviter que des connaissances scientifiques continuent d’être exprimées dans le même modèle cognitif. En fait, la démocratisation des savoirs scientifiques permet aux chercheurs de trouver et d’utiliser de nouvelles voies de communication des savoirs, sans occulter la transparence qui caractérise l’expression de la science.

            De cette analyse de Charmillot, on entrevoit l’idée de la décolonisation de la science et le risque que comporte  ‘’l’élitisme universitaire’’ de se scléroser dans les modèles du Nord. Le conformisme actuel de l’écriture scientifique appauvrit la production scientifique qui tend à n’être véritablement consommée que par des spécialistes. Ainsi, une nouvelle vision du savoir scientifique décolonisé, favorable à l’idéal de la justice cognitive et du développement durable peut être insufflée dans l’écriture pour enrichir et décloisonner les confinements actuels des processus scientifiques.

            Cette écriture est caractérisée  par Chamillot en ces termes: « une écriture dont l’auteur est un acteur qui, bien qu’inséré dans les rapports sociaux et les régimes de pratiques qui structurent le champ de la science, n’en est néanmoins pas prisonnier ». On y comprend la liberté de se soustraire à certaines contraintes pour véhiculer utilement et de façon responsable son savoir. La décolonisation du savoir permet de se libérer des contraintes d’une écriture conforme aux  « formes d’intelligibilité dominantes[6] ».

3. « Ethique du souci des conséquences »

            Dans  un contexte de ‘’démocratisation’’ de savoirs, la responsabilité du chercheur est engagée, d’autant plus que ce dernier touche des questions d’éthique. La morale doit préoccuper tout chercheur dans les objectifs qu’il vise et les retombées des actes qu’il  pose à travers l’écriture scientifique. La justice cognitive est une des formes de cette éthique prônée par Florence Piron[7]. Ainsi, autant  l’emploi du pronom ‘’Je’’ dans l’écriture scientifique est plus responsabilisant, autant le recours aux valeurs de son monde permet au chercheur de sortir de « l’homogénéisation  d’un système de valeurs[8] » pour le rendre plus engagé.

            En somme, l’écriture scientifique doit refléter la responsabilité du chercheur à transformer  positivement son monde, à développer des valeurs de son milieu. C’est une écriture  efficience centrée sur la responsabilité et l’éthique, une écriture qui remet en cause   ce qu’on nous enseigne pour proposer une réécriture de la science proche de la masse populaire et non une science destinée uniquement aux érudits.


[1] Il s’agit de la « raison expérimentale » et de la « raison interprétative » .

[2] La raison interprétative est, selon Charmillot « compréhensive, interprétative, constructiviste, herméneutique »

[3] Présentée par Charmillot comme une perspective’’ explicative, causale ou objectiviste’’.

[4] Cité par Becker, (2004 : 36) et repris par Charmillot, (2013 :161).

[5] Caillé, A., (1994), Critique de la raison utilitaire, cité par Charmillot, 2013 : 162.

[6] Charmillot, M., 2013 : 166. 

[7] Piron, 1996, cité par Chamillot.

[8] Schurmans, M., 2008, p. 89, cité par Maryvonne, 2013 : 166.