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Compte rendu du texte : Penser l’écriture de la science de Maryvonne Charmillot

Introduction

            Ce texte est écrit par Maryvonne Charmillot, docteure en sciences de l’éducation et maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Genève, elle est spécialisée dans l’épistémologie et méthodologie de l’éducation et de la formation, l’éducation à la santé, l’expérience de la maladie et les études en développement. Elle a plusieurs publications dont ce texte, publié en 2013 dans Cas de figure[1].

 Tout au début du texte l’auteure pose la question provocatrice sur la notion de l’écriture scientifique et si bel et bien ce « genre » d’écriture existe ?

Cette question trouve selon l’auteure des réponses immédiates quand il s’agit des sciences dites exactes comme la physique ou la chimie, dont il est facile de déterminer le caractère quantitatif et dénombrable. Pouvons-nous alors, donner une même description pour l’écriture des sciences humaines ?

Le premier élément de réponse, c’est « qu’il n’y a pas une forme ou un style unique d’écriture qui rassemble les recherches en sciences sociales », cela dit qu’il n’y a pas de convention sur une manière universelle pour écrire les sciences sociales. Le positivisme ou bien « la raison expérimentale » comme il est préféré de la désigner par l’auteur, reste la démarche dominante dans les sciences sociales et cela à été le cas depuis Auguste Compte qui à voulu faire des sciences sociales une « physique sociale ». Par conséquent l’écriture qui en découle doit être neutre, explicative et donc objective, elle n’a pas besoin d’être interprétée. Dans une autre perspective l’auteure évoque ce quelle appelle « la raison interprétative »[2], comme une autre manière de penser les sciences sociales et cela fait de l’écriture un « processus de production des connaissances dans une visée critique » tout en responsabilisant les chercheurs en les invitant à « penser conjointement écriture, utilité et usage des savoirs scientifiques ». L’auteure incite explicitement les chercheurs à être libres et à se démarquer des normes de la science toute faite pensée pour eux, pour une science pensée par eux, en évoquant peut après le débat sur la question de l’écriture en sciences sociales.

Le débat

L’auteure se demande à ce sujet sur les caractéristiques de ce débat par plusieurs questions. Elle se demande sur « les lignes de tensions, les oppositions, les querelles à son propos ? », et sur la question de la « validité des textes [et] Qu’est ce qui fonde cette dernière ? ». En fait quelle est la fonction de l’écriture scientifique ? Devrait- elle se mettre « au service des résultats ? » ou de « transmettre ou véhiculer ce qui est déjà construit ? ». Pour répondre à toutes ces questions l’auteur se limite à l’exemple du fameux marqueur linguistique « nous », dont l’usage donne du fil à retordre aux jeunes chercheurs qu’aux vieux maitres. Il faut choisir entre « objectivité » et « subjectivité », entre la reconnaissance de la communauté scientifique et la reconnaissance de sois comme ayant contribué à la production scientifique. Dans un petit paragraphe extrait de sa thèse, l’auteure à voulu s’expliquer sur son choix de s’exprimer « à la première personne du singulier ». Elle avance l’idée que « ce choix n’est pas lié à une perspective biographique ou clinique qui désignerait comme dominante l’histoire personnelle ou l’identité du chercheur », mais qu’il est le « fruit de rencontres multiples », donc d’une socialisation de la pratique de la recherche. Pour finir, elle réclame le droit de possession du « travail d’écriture » à son auteur et sa liberté de prendre « la juste mesure » choisir entre le « je » et le « nous ».

L’écriture, quelle souffrance

L’auteur insiste en citant (Perrot et la soudière, 1994, p.5) sur le fait que l’angoisse de la page blanche touche pratiquement tous les auteurs même les plus expérimentés d’entre eux. Cela est du certainement à la responsabilité scientifique de l’auteur et aux « enjeux inhérents à l’écriture des sciences humaines ». L’objectivité scientifique est la condition la plus importante pour valider toute recherche, et donc permet de rejoindre la communauté scientifique. Cette objectivité si déterminante dans la manière d’écrire les sciences humaines et le souci de se joindre à la communauté des sociologues est évoquée par l’auteur en citant l’exemple de l’étudiante de Haward Becker, Pamella, qui considère que le fait de ne pas écrire comme les sociologues, accentue les risques d’exclusion en dehors de cette communauté. L’auteure pose les mêmes questions que tout jeune chercheur pose telle que : « Toute écriture est-elle angoissante ? Toute écriture est-elles contrainte ? Y a-t-il une frontière entre l’écriture scientifique et la littérature ? ». Elle avoue que les réponses à ces questions ne sont pas si faciles. Il est question de « style qui ne laisse place ni à l’expression personnelle ni à la clarté apparente ». Un autre exemple est cité celui d’une seconde étudiante de Haward Becker qui affirme que l’écriture scientifique distingue entre élite et « groupe de personne non initié », elle est donc une affaire réservée aux savants.

Qui sont donc ces élus du système ? Un système qui fonctionne à la manière de « publier ou périr », sélectif, bureaucratique et concurrentiel et ne reconnait que le nombre de publications pour valider ou non l’accès des chercheurs au podium de la connaissance. Cela exige de répondre à la question : Pourront nous penser l’écriture autrement ?

Ecrire pour penser

Pour répondre à cette question l’auteure fait appel à Alain Callé directeur du MAUSS. Selon lui la pensée humaine moderne est en état de « stagnation », malgré la quantité énorme de la production scientifique. Comme la science moderne qui perd « d’efficacité et de capacité à influer sur le cours du monde », les sciences humaines et sociales sont en crise de « réification et de reproduction » due à une spécialisation infinie. Il estime que la pensée doit être remise à sa juste place, cela dit « dans les textes des chercheurs ». Pour que l’écriture des sciences humaines se mette « au service d’une réelle production de connaissances susceptibles de transformer comprendre émanciper », elle doit faire l’usage d’une « langue accessible, capable de faire de l’université un champ véritablement démocratique », accessible à tout ceux qui cherchent des réponses à leurs questions.

Le souci d’autrui

Concernant la responsabilité du chercheur envers autrui l’auteur cite les propos de Marie-Noëlle Schurmans (2006) qui insiste sur le caractère personnel du chercheur et de son engagement moral envers ses lecteurs, et emprunte pour cela deux concepts de Florence Piron, celui de l’ « éthique du souci des conséquences » et celui du « chercheur solidaire ». L’écriture est donc un engagement et une responsabilité de sois avant d’être un engagement et une responsabilité envers les autres.

La peur et le désir d’écrire comme peur et désir de penser

Pour conclure, Maryvonne Charmillot se réfère une fois de plus à Marie-Noëlle Schurmans pour désigner le concept d’ « autorisation », qui décrit le mieux « les rapports de force et de dominations » dans la sphère académique. Là ou apparaissent les forces implicites poussées par les intérêts économiques et politiques. La « peur de penser » s’installe donc comme un effet psychologique et social contre toute production scientifique libre et responsable. D’après l’auteure il est temps de changer cette pratique hégémonique et penser l’écriture comme une résistance contre le système en place. Il faut donc pour le « chercheur solidaire » qu’il s’anime du « désir de penser » hors des sentiers battus des institutions académiques conventionnelles.

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[1] Devenir chercheur. Ecrire une thèse en sciences sociales, dir, Moritz HUNSMANN et Sébastien Kapp, Ed EHESS, Paris, 2013.

[2] Pour faire la distinction entre le paradigme positiviste et le paradigme interprétatif elle se réfère à Marie-Noëlle Schurmans (2008), à partir des travaux de Berthelot (2001).